" Une multitude prodigieuse comme de voix humaines… "

 Le village d’Ansacq mérite d’être mentionné pour avoir été le théâtre d’un extraordinaire phénomène atmosphérique dans la nuit du 27 au 28 janvier 1730, phénomène qui se reproduisit dans la nuit du 9 au 10 mai, puis le 31 octobre, entre neuf et dix heures du soir, toujours en 1730. Au dire d’un témoin, homme de lettres ayant une charge dans la justice de Clermont, il avait déjà eu lieu quinze ans plus tôt, une nuit qu’il traversait le village pour s’en retourner à Clermont.

Treuillot de Ptoncourt, curé de Saint-Lucien d’Ansacq, au demeurant fort sceptique à l’origine, réunit les témoignages et, frappé à la fois par l’étrangeté du fait et le sérieux des témoins, communiqua ses observations au Mercure de France en y joignant une description du site. L’ensemble fut publié en décembre 1730.

De quoi s’agissait-il ? Plusieurs personnes dignes de foi entendirent dans les airs, ces nuits-là, " une multitude prodigieuse comme de voix humaines de différents tons, grosseurs et éclats, de tout âge, de tout sexe, parlant et criant toutes ensemble, sans néanmoins que ces particuliers aient pu rien distinguer de ce que les voix articulaient ; parmi cette confusion de voix, on en avait reconnu et distingué un nombre infini qui poussait des cris lugubres et lamentables, comme de personnes affligées, d’autres des cris de joie et des cris éclatants, comme de personnes qui se divertissent ; quelques-uns ajoutent qu’ils ont clairement distingué parmi ces voix humaines, soi-disant, les sons de différents instruments".

Le parc d'AnsacqQu’avaient exactement entendu les témoins ? Dans la nuit du 27 au 28 janvier, Charles Descoulleurs, laboureur, et son frère François, revenaient de Senlis. Ils avaient dû s’arrêter à Mello pour affaires et n’arrivèrent que vers deux heures du matin près du parc d’Ansacq. Ils s’entretenaient de leurs affaires lorsqu’ils furent " interrompus par une voix terrible, qui leur parut éloignée d’eux d’environ vingt pas ".

Une autre voix semblable répondit du fond d’une gorge à l’autre extrémité du village et sitôt après d’autres voix se firent entendre entre les deux premières, " articulant certain jargon clapissant, que ledit Charles Descoulleurs dit n’avoir pu comprendre, mais qu’il avait clairement distingué des voix de vieillards, de jeunes hommes, de femmes ou de filles et d’enfants, et parmi tout cela les sons de différents instruments ".

Certains sons venaient de très haut, d’autres étaient à hauteur d’homme, quelques-uns semblaient sortir de terre. Ils ne pouvaient être confondus avec des cris d’oies sauvages, de canards, de hiboux, de renards, de loups. Le bruit avait duré environ une demi-heure et avait été tel que les deux frères avaient peine à s’entendre en parlant très haut. Cela se termina " par des éclats de rire sensibles, comme s’il y eût eu trois ou quatre cents personnes qui se missent à rire de toute leur force ". Les deux frères n’avaient pas bu. 

Les mystères de la troupe aérienne

Au cours de la même nuit, Louis Duchemin, marchand gantier, et Patrice Touilly, maître maçon, se rendant à Beauvais où ils voulaient être au point du jour, se trouvèrent deux heures après minuit au-dessus de la côte opposée à celle où étaient les frères Descoulleurs à la même heure. Ils entendirent le même bruit et, saisis de crainte, songèrent à revenir sur leurs pas, mais, " comme il aurait fallu passer dans l’endroit où ces voix se faisaient entendre ", ils préférèrent continuer leur voyage en s’en éloignant. Ils entendirent " le même bruit pendant une demi-lieue de chemin, mais faiblement à mesure qu’ils s’éloignaient ".

Le sieur Claude Descoulleurs, ancien garde de la porte et pensionnaire de feu le duc d’Orléans, entendit ce bruit du mois de janvier, " mais comme il faisait froid, il ne s’était pas levé " ; " le bruit était si grand et si extraordinaire que quoiqu’il fût bien enfermé, il n’avait pas laissé d’être effrayé et de ressentir dans toutes les parties de son corps un certain frémissement, en sorte que ses cheveux s’étaient hérissés ". Il entendit également les bruits de mai qui l’éveillèrent en sursaut : " Il s’était levé sur-le-champ, mais, tandis qu’il s’habillait, la troupe aérienne avait eu le temps de s’éloigner, en sorte que quand il fut dans sa cour il ne l’avait plus entendue que de loin et faiblement ". Le bruit, selon Claude Descoulleurs, ressemblait à celui produit par la foule dans une foire, dans les halles de Paris un jour de grand marché ou encore celui qu’on entend dans les salles du palais avant l’audience, avec, en plus, les sons des violons, des basses, des hautbois, trompettes, flûtes, tambours, etc.

Alexis Allou, clerc de la paroisse d’Ansacq, témoigna de même. Croyant à un incendie dans le village, il se leva précipitamment puis, prêt à sortir, ayant entendu " passer devant sa maison une multitude innombrable de personnes, les unes poussant des cris amers [ce sont ses termes], les autres des cris de joie, et parmi tout cela les sons de différents instruments ", il fut saisi d’un frisson et préféra se recoucher.

Mêmes témoignages de Nicolas de La Place, laboureur, de Nicolas Portier, laboureur, et d’Antoine Le Roi, garçon marchand gantier. Les deux derniers ajoutèrent : " Le bruit était si grand et si affreux que leurs chiens qui étaient couchés dans la cour pour la garde de la maison en avaient été tellement effrayés que, sans pousser un seul aboiement, ils s’étaient jetés à la porte de la chambre de ladite maison, la mordant et la rongeant comme pour la forcer, l’ouvrir et se mettre à couvert ".

Le curé d’Ansacq cite encore bien d’autres témoignages concordants et avoue demeurer perplexe. " Serait-il possible que tant d’oreilles eussent été enchantées, pour ainsi dire, pour croire entendre ce qu’elles n’entendaient pas ? C’est ce que je ne saurais jamais m’imaginer… "

607 (XII-1730)

Extrait du Guide de l'Ile de France Mystérieuse

Les Guides Noirs TCHOU Editeur